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Discours essentialistes dans la Russie d’aujourd’hui, ou le retour de l’âme russe

Michel NIQUEUX

Université de Caen - Basse-Normandie, ERLIS

Index matières

Mots-clés : Russie, Occident, culturologie, âme russe, Dieu russe

Plan de l'article

Texte intégral

À côté d’un discours occidentaliste d’intégration, de convergence, d’universalisme, se développe dans tous les domaines un, ou plutôt des discours que l’on peut dire essentialistes, dans la mesure où ils affirment l’existence d’une essence propre à la Russie, où ils essentialisent ses particularités, en les opposant à celles d’autres pays ou civilisations, principalement à l’Europe. J’étudierai ce retour de l’essentialisme dans quatre discours : culturologique, linguistique, politique et religieux. Des travaux existent sur chacun de ces discours – il n’y a que pour le « Dieu russe » que j’ai mené des recherches personnelles –, mon intention est ici de les rapprocher, d’en montrer les points communs, et de remonter, au-delà de la description, aux sources philosophiques de ces discours.

Discours culturologique

La culturologie, qui se veut une science, a été bien étudiée par Jutta Scherrer et Marlène Laruelle[1] ; elle est apparue à la fin des années 1980 et s’est développée en tant que matière d’enseignement secondaire et supérieur après la chute de l’URSS. Elle s’inscrit dans la recherche, lancée par Eltsine en 1996, d’une « idée nationale », comme dans le « programme gouvernemental d’éducation patriotique des citoyens de la Fédération russe » fixé par le président Poutine en mars 2001. Il s’agit d’une idéologie de rechange, professée souvent par d’anciens enseignants du marxisme-léninisme reconvertis, la lutte des classes étant remplacée par la théorie du développement cyclique des civilisations et leur opposition. La culturologie, qui est – depuis 2000 – une nouvelle spécialité dans laquelle sont soutenues des thèses et qui a donné lieu à quantité de manuels, hésite entre un enseignement de culture générale et une histoire des théories de la culture[2]. Elle a pour but la construction, d’abord dans la jeunesse, d’une nouvelle identité russe, ou russienne dans le meilleur des cas, basée sur les valeurs traditionnelles, au premier plan desquelles on trouve l’orthodoxie, sécularisée en facteur culturel ou civilisationniste. Scherrer et Laruelle ont analysé un nombre important de manuels de culturologie destinés à l’enseignement secondaire ou supérieur. Si la quête identitaire d’une nation qui a perdu brutalement ses repères – positifs ou négatifs – et qui n’a pas réalisé le saut dans l’avenir radieux de la démocratie qu’on lui promettait leur paraît tout à fait légitime, c’est la confusion des genres – science, idéologie –, des concepts et le manque de solidité méthodologique, l’orientation plus ou moins nationaliste de ces manuels qui les ont frappées.

La culturologie découpe le monde, à la suite de Nikolaj Danilevski, Oswald Spengler, Arnold Joseph Toynbee ou Samuel Huntington, en aires religio-civilisationnelles – Occident, ou aire atlantiste, aire slavo-orthodoxe, aire musulmane. Les institutions politiques, économiques, juridiques sont ignorées, au profit d’« explications uniquement culturalistes et essentialistes, qui réifient plus qu’elles “n’humanisent” les problèmes posés »[3]. Scherrer parle de « culturosophie ».

Le concept d’« idée russe » est repris par tous les manuels : c’est un

code culturel extrêmement complexe, lit-on dans un manuel, qui apparaît mystérieux et inaccessible à la connaissance rationnelle (« On ne peut comprendre la Russie par l’intellect »)[4]. Cela s’explique non seulement par les dimensions et la profondeur de son cosmos, mais par le caractère unique de sa structure, irréductible à des formes idéologiques rationnelles et exprimée dans le « plasma » des phénomènes mentaux irrationnels, dans la tension de leurs contradictions.[5]

À travers ce charabia métaphorique pseudo-scientifique et irrationnel, c’est l’universalisme des Lumières, qui effacerait les différences nationales, qui est rejeté. Contre la mondialisation – appelée « globalisation » – et un impérialisme culturel américano-occidental, la Russie affirme sa spécificité, ce que fait aussi la France avec l’exception française ou autres expressions identitaires, mais la Russie fait de son altérité une essence supérieure et parfois messianique. Elle se perçoit comme une forteresse assiégée par une russophobie qui s’étalerait dans tous les médias occidentaux, et en même temps, elle justifie « culturologiquement » cet enfermement. Le rejet de l’Occident est considéré « comme une nécessité quasi biologique, puisque le xxe siècle aurait prouvé que “la transplantation, l’emprunt mécanique d’éléments culturels ne peut pas donner de résultats positifs” »[6]. La culturologie sert à justifier la politique de l’État fort, de la démocratie dirigée, du refus – jusqu’en 2002 – de la vente des terres, toutes particularités qui seraient constitutives de l’« âme russe » – souvent rebaptisée en « mentalité » (mentalitet russe, les mots étrangers n’effrayant pas la conscience nationale des culturologues).

Ce discours culturologique a contaminé le discours économique, dont je ne dirai qu’un mot, car Myriam Désert l’a bien analysé dans une intervention à la Maison des sciences de l’homme, en avril 2005 (« Les représentations économiques ethnicisées » (à paraître en ligne sur le site du Centre Est-Ouest). À partir d’une analyse, principalement, des articles de Voprosy èkonomiki (Questions d’économie), Myriam Désert montre que l’échec de la transition libérale en Russie a été expliqué par l’existence d’une mentalité économique particulière à la Russie, contribuant à alimenter, dans la seconde moitié des années 1990, le discours sur la spécificité russe :

L’idée que « les réformes se sont brisées sur l’esprit national » devient un lieu commun et l’imaginaire ethnicisé se répand. [...] La « culture russe » détermine une conception différente de la personne… et donc du « sujet économique ». L’homme russe, s’il a connu le culte de la raison avec l’idéologie bolchevik, n’a pas connu la rationalisation du siècle des Lumières ; il est pour ce motif supposé guidé par une logique autre que la rationalité économique basique. Le principe du calcul économique lui serait étranger ; il ne peut donc être envisagé comme Homo economicus et cela serait la cause de l’échec des transferts de modèles purement rationalistes.[7]

Selon les auteurs, cette mentalité « ethno-économique » est un handicap ou au contraire un atout – contre la mondialisation.

Le discours linguistique

Linguistique et culturologie se sont rapprochées pour produire un discours sur le caractère national. Ce n’est plus dans le climat, les institutions ou la manière d’emmaillotter les enfants (Geoffrey Gorer) que l’on recherche les sources des caractéristiques nationales, mais dans la grammaire, la syntaxe ou le vocabulaire. Il s’agit d’un retour aux théories de Wilhelm von Humboldt (1767-1835), d’un néo-humboldtianisme, effectué en particulier par une linguiste polonaise travaillant en Australie, Anna Wierzbicka, suivie par des checheurs russes comme Aleksej Dmitrievič Šmelev, Anna Zaliznâk et d’autres[8]. Patrick Sériot a bien étudié ce discours[9].

Selon Wierzbicka, « chaque langue reflète les traits de la réalité extra-linguistique qui sont “jugés pertinents” par les membres de la culture qui utilise cette langue. En acquérant une langue et, plus particulièrement, le sens des mots, le locuteur d’une langue commence à “voir le monde” sous l’angle de vue qui lui est imposé par sa langue maternelle : il acquiert la conceptualisation du monde caractéristique de cette culture. Les mots qui contiennent des “concepts linguo-spécifiques” tout à la fois reflètent et forment le mode de pensée des locuteurs de la langue. [...] ». Ainsi, Wierzbicka pose que trois notions linguistiques spécifiques peuvent à elles seules donner la clé de la vision linguistique russe du monde : duša (l’« âme »), toska (une sorte de « nostalgie mélancolique », de « vague à l’âme »), sud’ba (« la destinée »)[10]. Wierzbicka pense que les « propriétés de l’âme russe » telles que le caractère affectif (èmocional’nost’), le penchant à la passivité et au fatalisme, l’antirationalisme, l’amour des jugements moraux, ont leur source dans la langue – notamment dans les constructions impersonnelles[11]. On retrouve là une vieille opposition entre peuples actifs et peuples passifs ou fatalistes – situés en Orient –, partagée entre autres par Gorki, justifiée maintenant par la linguistique.

La langue comme « reflet » et « construction » du monde, la Russie en amont et en aval de la langue : on a là une vision inspirée à la fois de Humboldt – le reflet – et par l’« hypothèse Sapir-Whorf », selon laquelle « la “réalité” est, dans une grande mesure, inconsciemment construite à partir des habitudes langagières du groupe. [...] Les mondes où vivent des sociétés différentes sont des mondes distincts, pas simplement le même monde avec d’autres étiquettes »[12].

L’expression d’« image du monde » (Weltbild, kartina mira), que reflète ou forme la langue, provient, selon Alla Mel’nikova, de la physique de Heinrich Rudolf Hertz et de Max Planck[13]. Il me semble cependant qu’elle remonte plus directement à Wilhelm von Humboldt (Sur le caractère national des langues, 1822-1824), ancêtre de ces linguistes selon lequel les différentes langues élaborent autant de visions ou tableaux du monde (Weltansichten, Gemälde). Quoi qu’il en soit, l’expression est maintenant couramment utilisée par les ethnographes, anthropologues, philologues, linguistes comme synonyme de modèle ou de vision du monde propre à chaque peuple. Par exemple, « la grammaire russe abonde en constructions dans lesquelles le monde réel est présenté comme « adverse aux souhaits et aspirations de l’homme, ou du moins indépendant de ces souhaits et aspirations, alors que l’anglais n’en présente presque pas » (Wierzbicka). Ce sont les constructions datives en russe – dans les phrases impersonnelles – qui révèlent une « orientation particulière de l’univers sémantique russe et de la culture russe »[14].

Les disciples russes de Wierzbicka ont repris cette idée de la langue – reflet du caractère national, en laissant de côté, semble-t-il, son utopie d’une langue universelle qui transcende ces différences : la langue des « primitifs sémantiques », ou « métalangue sémantique naturelle ». Bref, ils gardent le relativisme, ou « culturalisme » du néo-humboldtianisme et rejettent l’universalisme. Parmi les chercheurs russes de la vision linguistique du monde, il me semble que l’on peut distinguer deux courants. L’un, représenté notamment par Ûrij Apresjan, ne se base que sur des faits de langue et réduit au maximum la sphère de l’« ethnospécificité » de la langue[15]. L’autre, représenté par Šmelev et nombre d’autres chercheurs, considère que les unités lexicales – concepts ou mots-clés – du russe sont une clé pour comprendre la spécificité de la culture et de la mentalité russes[16]. On part d’une vision de l’« âme russe » – atemporelle, mais visiblement reconstruite à partir de la littérature slavophile et de Nikolaj Berdjaev –, et l’on cherche les mots-clés qui la refléteraient. Ainsi, l’un des chapitres du livre de Šmelev sur Le modèle linguistique russe du monde porte sur « La composante spatiale de l’“âme russe” », avec comme mots-clés difficilement traduisibles svoboda, volâ, privol’e, razdol’e (qui désignent différents modes de liberté), prostor, dal’ (l’espace, le lointain), neprikajannost’ (état d’une âme en peine), guljanie (réjouissances publiques), toska (tristesse), udal’ (bravoure, crânerie), razmah (envergure, élan), etc., qui sont illustrés de citations d’écrivains et de penseurs comme Berdjaev.

Chez Mel’nikova, auteur du livre intitulé La langue et le caractère national. Corrélation de la structure de la langue et de la mentalité, on frise la caricature : partant de la constatation qu’en russe l’ordre des mots est très libre, avec en plus l’absence d’articles, elle explique par là les spécificités du caractère national – qui sont donnéеs comme des réalités et non des stéréotypes. L’« absence de structure de la proposition » entraîne la perception d’une « absence de structure dans le monde », compris comme dénué de logique – comme en témoignerait l’emploi de avos’, sud’ba, ou encore la paresse –, avec une « opposition à toute force extérieure organisatrice » – la loi, l’État –, « un sentiment élargi de liberté » – avec l’opposition volâ/svoboda –, et en particulier une « liberté d’expression des émotions » – ainsi, les Anglais, qui n’ont pas l’équivalent du verbe hohotat’, ont un rire plus retenu et plus contrôlé, et en Russie, le duel n’a été codifié que tardivement…[17]. Par contre, au caractère spécifique et complexe de l’accord grammatical en russe (genre, nombre, cas, syntaxe des cardinaux) correspondrait un grand nombre de mots pour désigner les rapports interpersonnels (drug, znakomyj, etc.). À la différence des Anglais ou des Français, dont le vocabulaire dans ce domaine serait plus pauvre[18], le Russe prend conscience de soi non à travers son individualité, mais à travers son groupe (kompaniâ), ses amis[19]. Les « valeurs collectivistes de la culture russe » seraient donc déterminées – inconsciemment – par la flexion complexe du russe[20]. Bref, la langue explique la nature russe, et la coupe du reste de l’humanité :

Toute « communauté linguistique » est enfermée dans une vision du monde. Les « visions du monde » sont des entités dénombrables, closes, séparées. Chaque communauté parlante vit en totale autarcie linguistique, sans contact avec les autres, sans emprunt, sans influence. Cette pensée profondément discontinuiste est une pensée essentialiste, une pensée du type, autrement dit une pensée platonicienne, où le sens n’a pas d’histoire. Le sens est imbriqué dans une psychologie collective, il ne peut nous renseigner que sur cette psychologie collective et non sur le monde.[21]

Le discours politique (néo-eurasiste)

Je laisserai de côté le discours nationaliste, celui de « la Russie aux Russes », qui n’a rien de spécifiquement russe, pour exposer rapidement – car la grande spécialiste de la question est Marlène Laruelle – le néo-eurasisme en vogue actuellement ; il se veut un discours nationaliste politiquement correct et a pénétré les sphères intellectuelles et politiques les plus hautes[22].

Les trois principaux idéologues du néo-eurasisme sont Lev Goumiliov (1912-1992), Aleksandr Panarine (1940-2003) et Aleksandr Douguine (né en 1962), dont les conceptions présentent d’importantes différences, mais qui se retrouvent sur le rejet de l’Occident capitaliste, matérialiste, individualiste, dans la tradition du slavophilisme du xixe siècle et de l’eurasisme des années 1920[23]. Panarine est toutefois plus subtil, en distinguant occidentalisme et « westernisation »[24]. Les néo-eurasistes ont une conception essentialiste des nations, dont les cultures et les ethnies ne sauraient se mélanger. Ainsi, pour Panarine, « la différence [avec l’Occident] ne peut être rattrapée puisqu’elle n’est pas un “retard” mais une “essence” »[25]. Ce qui paraît un retard se change, comme pour Piotr Tchaadaev, en un avantage, une alternative à l’impasse occidentale. Le rôle de la Russie, comme celui de l’Union soviétique, reste messianique. Aussi, le modèle occidental que les réformateurs gorbatcheviens puis eltsiniens ont voulu implanter en Russie n’est-il pas transposable, il n’y a pas de valeurs universelles, notamment en ce qui concerne les droits de l’homme, que Douguine remplace par le droit des peuples[26], et le racisme de cette Nouvelle droite russe est différencialiste, selon la terminologie de Pierre-André Taguieff, en ce sens qu’il « érige la différence ou l’identité du groupe en absolu »[27]. Ce relativisme philosophique fonde la revendication d’une multipolarité politique, vivement affirmée par Poutine lors de son discours de Munich du 10 février 2006 à la 43e Conférence sur la politique de sécurité, sans référence explicite, naturellement, au néo-eurasisme dont beaucoup d’idées et de termes-clés, notamment en géopolitique, se sont banalisés : « Le néo-eurasisme a contribué à ajuster le discours des élites en place aux attentes d’une bonne part de la société russe[28] ». Le paradoxe mis en lumière par Laruelle est que le discours anti-occidentaliste, anti-globalisation de Douguine, participe « à la mondialisation des discours identitaires et à l’uniformisation des théories mises en œuvre pour résister à ces phénomènes »[29].

Le discours religieux

Un observateur de la vie religieuse russe, Aleksandr Kyrlejev, écrit :

Ces derniers temps, nous voyons en Russie une quantité d’exemples de refus conscient ou semi-conscient de la « civilisation chrétienne européenne » de la part de ceux qui prônent un renforcement du rôle de la religion dans la société à partir de positions chrétiennes ou orthodoxes explicites. Ces interventions sont de plus en plus agressives, et leurs auteurs ou leurs partisans sont de plus en plus « intransigeants » envers les valeurs européennes. À l’héritage commun de l’Europe chrétienne sont opposées des valeurs locales et régionales : « russes » ou « orientales ».[30]

Je prendrai deux exemples de ce rejet de l’universalisme chrétien par des chrétiens orthodoxes.

Le premier est celui de la russification de Dieu. Le « Dieu russe » n’est pas une invention récente, l’expression est d’usage courant à partir de la seconde moitié du xviiie siècle : le « Dieu russe » apparaît comme le protecteur du peuple russe et de l’Empire. Pendant la guerre de 1812 contre Napoléon, l’expression est utilisée tant par les poètes patriotes que par Mikhail Koutouzov. En 1828, il est raillé dans une poésie satirique de Piotr Viazemski (« Russkij Bog »). C’est Dostoïevski qui lui donnera un contenu anti-occidental et messianique qu’il n’avait pas à l’origine. Le « Dieu russe » que recherchent, ou auquel font appel les personnages de Dostoïevski, est celui dont l’image n’a pas été altérée par le catholicisme, les Jésuites ou le socialisme. Chatov est l’idéologue de ce Dieu national : « Plus un peuple est fort, plus son dieu diffère des autres dieux[31] ». Mais on ne saurait identifier Chatov à Dostoïevski. Dès 1861, l’écrivain parlait de « pan-humanité » (obščečelovečeskij) et de synthèse des idées européennes et des valeurs russes, ce qui est le programme du počvenničestvo, l’enracinement dans le sol, que Dostoïevski oppose au slavophilisme[32] : « Nous les Russes avons deux patries : notre Russie (Rus’) et l’Europe »[33].

Ainsi Dostoïevski échappe au nationalisme en faisant des Russes un modèle – utopique, il le sait bien – d’universalité. Le Christ russe, incarné par un peuple russe virtuellement idéal, est le Christ sauveur de l’humanité. C’est ce que l’écrivain appelle l’Idée russe[34]. Ou le paradoxe d’un discours essentialiste à prétention messianique, universelle[35].

La critique du slavophilisme religieux a été faite par Vlаdimir Soloviov, en rappelant que le christianisme est une religion universelle, supranationale, incompatible avec toute forme de nationalisme et d’Église nationale (Slavânofil’stvo i ego vyroždenie, 1889). Dimitri Mérejkovski, dans un article de 1906[36], soumit à une critique rigoureuse la notion de « Dieu russe », qui conduit à identifier orthodoxie et autocratie, laquelle pour Mérejkovski émane de l’Antéchrist.

Après ce bref rappel historique, qu’en est-il actuellement du « Dieu russe » ? Les moteurs de recherche sur Internet donnent des milliers d’occurrences de l’expression. La consultation des 700 premiers sites permet de déterminer deux principales mouvances idéologiques où l’expression de « Dieu russe » est employée : celle du nationalisme orthodoxe[37], où l’expression est connotée avec l’antisémitisme, et celle du néopaganisme[38], qui remplace le Dieu chrétien par un ou plusieurs des dieux du panthéon slave (Svarog, Dajbog, Peroun), ou non-slave pour les peuples non-russes de la moyenne Volga et de la Sibérie.

La dégradation de la notion de « Dieu russe » est impressionnante : si Dieu et le Christ étaient russifiés par Dostoïevski et la conscience populaire, ils ne perdaient pas leurs vertus, ils étaient présentés dans toute leur idéalité, alors que le nouveau Dieu russe est xénophobe et agressif. Le repli ou l’agressivité identitaire va à l’encontre du messianisme de Dostoïevski, fondé sur l’idée de fraternité universelle. C’est ainsi que l’œcuménisme est assimilé à une hérésie par les fondamentalistes orthodoxes[39].

Même si l’expression de « Dieu russe » n’est pas utilisée officiellement par l’Église orthodoxe, la décomposition du religieux en national est largement répandue ; elle vient de la confusion entre la religion et la culture, qui sont liées mais irréductibles l’une à l’autre. Nous assistons à un double processus de perversion de l’idée chrétienne :
– D’une part, du côté des nationalistes orthodoxes, il y a une réduction de la religion orthodoxe en culture, une nationalisation de l’orthodoxie sinon de Dieu, qui devient véritablement un attribut du peuple russe, ce qui explique le ralliement du Parti communiste russe de Guennadi Ziouganov à l’orthodoxie en tant qu’élément fondamental de l’identité russe, qui a permis de grands sursauts patriotiques, en 1612 contre les Polonais[40], en 1812 contre Napoléon, en 1941-1945 contre les armées d’Hitler.
– D’autre part, du côté du pouvoir, on utilise l’Église orthodoxe, avec son consentement, en la réduisant au rôle d’attribut de la nation, d’instrument idéologique de consolidation du peuple, de vecteur d’identité et de moralité en remplacement du communisme[41]. Dans tous les cas, c’est la spécificité de la religion qui disparaît, et notamment la liberté transcendantale de l’individu : il n’en devient que plus facile de transformer le peuple de Dieu en troupeau docile.

Cette confusion de l’identité nationale et de la conscience ecclésiale porte en sociologie le nom d’ethno-religion et en théologie celui de phylétisme – de phylé, race, tribu –, ou, par pléonasme, d’ethno-phylétisme. « L’opinion qui veut fonder l’unité d’une église locale sur un principe politique, ethnique ou culturel est réputée par l’Église orthodoxe comme hérésie spécialement désignée par le nom de phylétisme », écrit le théologien orthodoxe Vladimir Lossky[42]. C’est une hérésie qui fut condamnée en 1872 par un concile pan-orthodoxe réuni à Constantinople. Elle peut s’expliquer par le fait que l’histoire a rendu la plupart des églises autocéphales orthodoxes dépositaires et gardiennes d’une mémoire nationale identitaire.

Le second exemple est celui des droits de l’homme. En avril 2006, le Xe Concile universel national russe (Vsemirnyj Russkij Narodnyj sobor) a adopté une déclaration – préparée par l’Église orthodoxe – « sur les droits et la dignité de l’homme » « au nom de la civilisation russe originale » (ot imeni samobytnoj russkoj civilizacii, samobytnyj étant un mot-clé du vocabulaire slavophile[43]. Selon le métropolite Cyrille, président du Département des relations extérieures du Patriarcat de Moscou, la conception des droits de l’homme, d’origine occidentale, ne convient pas pour la Russie[44], et l’Église orthodoxe russe a décidé de créer son propre centre de défense des droits de l’homme.

Voici des extraits de la déclaration du Concile russe :

Il y a des valeurs qui ne sont pas inférieures aux droits de l’homme, comme la foi, la moralité, les choses sacrées (святыни), la Patrie [...] On ne saurait admettre des situations où la réalisation des droits de l’homme conduirait à offenser les sentiments religieux et nationaux, les reliques vénérées, menacerait l’existence de la Patrie. Dangereuse apparaît l’« invention » de « droits » qui légalisent une conduite condamnée par la morale traditionnelle et par toutes les religions historiques.[45]

Le ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, Sergej Lavrov, a apporté son soutien à cette déclaration, condamnée par d’anciens dissidents défenseurs des droits de l’homme[46].

Quelles sont les causes et les sources de cet essentialisme ? Les causes sont nombreuses, d’abord psychologiques – quête identitaire après négation par les bolcheviks d’une identité russe qualifiée par Lénine de chauvine ; il y a un complexe d’infériorité à surmonter après le démantèlement de l’Empire ; c’est aussi un exutoire aux difficultés économiques, sociopolitiques – la mondialisation, la mainmise des Caucasiens sur certains secteurs d’activité comme les marchés ; il y a aussi, naturellement, des causes idéologiques – le ralliement du Parti communiste au patriotisme stalinien, ou la nationalisation du bolchevisme internationaliste. Mais plus profondes sont les sources philosophiques. Il faut souligner le rôle qu’a joué, au moment de la perestroïka, la publication ou republication – pour les ouvrages d’avant la révolution – de tout le massif de la philosophie religieuse de la première moitié du xxe siècle, et en premier lieu de N. Berdjaev, qui a popularisé la notion d’idée russe et d’âme russe : il a paru des anthologies sur l’idée russe, sur la Russie et l’Occident – avec plusieurs éditions de Rossiâ i Evropa (La Russie et l’Europe) de Nikolaj Âkovlevič Danilevskij (1869)[47]. À partir de là, des études ont vu le jour, et l’on ne saurait donner une liste exhaustive des livres sur le caractère national russe[48], qui n’ont toutefois pas surgi sur une table rase : pensons aux « Remarques sur la russité » de Dmitrij Lihačev (Novyj mir [Monde nouveau], 3, 1980), et au courant de littérature ruraliste.

Mais au-delà de ces philosophes, c’est au slavophilisme qu’il faut remonter, et derrière lui, à la philosophie romantique allemande, inspiratrice en grande partie du slavophilisme russe – qui est donc, paradoxalement, d’importation étrangère[49]. Mais en terre russe, les positions des penseurs allemands ont été durcies, simplifiées. Le slavophilisme oppose la nature et la culture, en érigeant des différences de culture en différences de nature, irréductibles et formant le socle de discriminations ou d’oppositions diverses. La dialectique et la synthèse schellingienne font place à des oppositions binaires et tranchées, les opinions nuancées ne sont pas prises en considération : ainsi, l’essai d’Ivan Kiréievski « Du caractère de la culture européenne et de ses rapports avec la culture russe » (1852) « rassemble les éléments d’une véritable philosophie et théologie de l’anti-occidentalisme »[50]. Son article de 1845 « Aperçu sur la littérature contemporaine » était beaucoup plus nuancé : la fidélité à la Russie n’exclut pas la fidélité à l’Europe ; se couper de la culture occidentale aboutirait à un « provincialisme étouffant ». Mais Kiréievski est maintenant loin de la synthèse des contraires chère à Schelling – dont il a suivi les cours en 1830. Alexei Khomiakov radicalisera l’opposition de la Russie à la « Latinité », comprise comme juridisme et même paganisme[51].

Il en va de même pour la philosophie de Herder, bien connue en Russie[52], mais qui y a subi des simplifications et des altérations importantes. Herder peut être invoqué par les linguistes – « Chaque nation parle en fonction de ce qu’elle pense et pense en fonction de ce qu’elle parle »[53] – comme par les nouveaux géopoliticiens. Mais si pour Herder toutes les nations passent par des « âges », comme un organisme vivant (Une autre philosophie de l’histoire), et si donc la Russie – ou plus exactement l’Ukraine – s’éveillera à une civilisation nouvelle et nationale[54], il n’en reste pas moins que pour lui toutes les nations sont égales en mérite, qu’il n’y a pas de hiérarchie des cultures, l’« humanité demeure un concept unifiant, malgré la diversité des civilisations et des époques »[55]. Un chercheur écrit de nos jours que

bien loin d’être un danger pour la démocratie, l’esprit herderien peut être un facteur qui permette d’exorciser les fantômes d’un nationalisme rétrograde et agressif, et d’intégrer les valeurs ethniques et nationales à un esprit démocratique rénové, où l’individualisme ne fasse pas obstacle au sens de la communauté et la recherche du bien-être à la créativité culturelle.[56]

Même chose pour Humboldt : on en retient de nos jours le seul particularisme, en oubliant son universalisme : la diversité des langues et des visions du monde est « “une diversité dans l’unité”, l’individualisation des langues s’effectuant au sein “d’une universelle concordance”, ramenant à l’unité fondamentale du genre humain »[57]. Les grandes questions, irrésolues, de la philosophie du langage, ne sont même plus évoquées : les catégories de pensées sont-elles des catégories de langue, une langue détermine-t-elle – et donc limite-t-elle – les possibilités de nos représentations (Sapir-Whorf), ou bien existe-t-il des universaux linguistiques (Piaget, Chomsky)[58]. Les hypothèses deviennent des assertions, les propositions sont radicalisées, l’incommensurabilité des visions du monde est tenue pour une évidence.

La critique de ces discours essentialistes est extrêmement rare[59], et les collègues cités, Jutta Scherrer, Marlène Laruelle[60], Patrick Sériot ont tous fait état des levées de boucliers provoquées par leurs interventions devant un auditoire russe. Il est cependant important d’y prêter attention, car ces discours construisent et diffusent insidieusement une « image du monde » qui fonde de manière pseudo-scientifique et artificielle des antagonismes que l’on croyait devoir disparaître.

Notes



[1]  Scherrer Jutta, Kulturologie. Russland auf der Suche nach einer zivilisatorischen Identität, Göttingen, Wallstein Verlag, 2003 ; id., « Kul’turologija i u učebniki po kul’turologii v Rossii glazami zapadnogo istorika », Vestnik Instituta Kennana v Rossii, 6, Moscou, 2004, p. 20-31 ; Laruelle Marlène, « La discipline de la culturologie, un nouveau “prêt-à-penser” pour la Russie ? », Diogène, 204, 2003, p. 25-45.

[2]  Voir le programme de Tat’âna Fedorovna Kuznecova et Anatolij Grigor’evič Vasil’ev – approuvé par le Ministère de l’Éducation de la Fédération de Russie en 2000 : [http://www.technical.bmstu.ru/metod_kab/programi/hf04.htm] site consulté le 7 septembre 2008.

[3]  Laruelle M., « La discipline de la culturologie… », art. cité, p. 33.

[4]  « Umom Rossiju ne ponjat’ ». Le célèbre quatrain de Tjutčev est très souvent cité, sans jamais être critiqué.

[5]  Levjaš Il’â Âkovlevič, Kul’turologija. Kurs lekcij (Conférences de culturologie), Minsk, TetraSistems, 1998, p. 216. En 2001, aux mêmes éditions, a paru du même auteur Kul’turologija. Učebnoe posobie dlja studentov VUZov (Culturologie. Manuel à l’usage des étudiants).

[6]  Laruelle M., « La discipline de la culturologie… », art. cité, p. 41. La citation, d’inspiration eurasiste, vient de : Sišova Natal’â Vasil’evna (éd.), Kul’turologija : èkzamenacionnye otvety (Culturologie. Sujets d’examens et corrigés), Rostov, Feniks, 2001, p. 96-97.

[7]  Selon le titre d’un article de Grošev I. V., ЭКО, n° 3, 2000.

[8]  Zaliznjak Anna, Levontina Irina, « Otraženie nacional’nogo haraktera v leksike russkogo jazyka » (« Le caractère national russe et son incidence sur le lexique du russe »), Russian Linguistics, 20, 1996, p. 237-264 ; Šmelev Aleksej Dmitrievič, Russkaâ âzykovaâ model’ mira. Mater’âly k slovarû (Le modèle linguistique russe du monde. Éléments de dictionnaire), Moscou, 2002 ; Mel’nikova Alla Aleksandrovna, Âzyk i nacional’nyj harakter. Vzaimosvâz’ struktury âzyka i mental’nosti (La langue et le caractère national. Corrélation de la structure de la langue et de la mentalité), Saint-Pétersbourg, Reč’, 2003 ; Ermakov S. V., Kim I. E., et al., Vlast’ v russkoj âzykovoj i ètničeskoj kartine mira (La notion de pouvoir et le tableau linguistique et ethnique du monde chez les Russes), Moscou, Znak, 2004 ; Zaliznjak Anna, Levontina Irina, Šmelev Aleksej, Kljûčevye idei russkoj âzykovoj kartiny mira (Les idées-clés du tableau linguistique russe du monde), Moscou, Âzyki slavânskoj kul’tury, 2005 ; Krasnyx Viktoriâ Vladimirovna (éd.), Russkie i « russkost’». Lingvo-kul’turologičeskie ètûdy (Les Russes et la « russité ». Études linguistico-culturelles), Moscou, Gnozis, 2006 ; Rylov Ûrij Alekseevič, Aspekty âzykovoj kartiny mira : Ital’ânskij i russkij âzyki (Aspects du tableau linguistique du monde : l’exemple de l’italien et du russe), Moscou, Gnozis, 2006. On trouvera une importante bibliographie dans Apresjan Ûrij Derenikovič (éd.), Âzykovaâ kartina mira i sistemnaâ leksikografiâ (Tableau linguistique du monde et lexicographie systémique), Moscou, Âzyki slavânskoj kul’tury, 2006.

[9]  Sériot Patrick, « Linguistique nationale ou linguistique nationaliste ? », in Niqueux Michel (éd.), La question russe, Paris, Éditions universitaires, 1992, p. 115-130 ; id., « La langue, corps pur de la nation. Le discours sur la langue dans la Russie brejnévienne », Les Temps modernes, n° 550, 1992, p. 186-208 ; id., « Le cas russe : anamnèse de la langue et quête identitaire. La langue-mémoire du peuple », Langages, n° 114, 1994, p. 84-97 ; id., « Oxymore ou malentendu ? Le relativisme universaliste de la métalangue sémantique naturelle universelle d’Anna Wierzbicka », Cahiers Ferdinand de Saussure, n° 57, 2004, p. 23-43 ; id., « La pensée ethniciste en URSS et en Russie post-soviétique », Strates, n° 12, 2006, p. 111-125.

[10]  Sériot P., « Oxymore ou malentendu ? », art. cité, p. 25.

[11]  Vežbicka Anna, « Russkij âzyk », Âzyk, Kul’tura, Poznanie (« Le russe » dans « Langue, culture et connaissance »), Moscou, Russkie slovari, 1996, et sur Internet [http://philologos.narod.ru/ling/wierz_rl/rl1.htm] site consulté le 7 septembre 2008.

[12]  [http://fr.wikipedia.org/wiki/Hypothèse_Sapir-Whorf] site consulté le 7 septembre 2008.

[13]  Mel’nikova A. A., op. cit., p. 17-21.

[14]  Sériot P., « Oxymore ou malentendu ? », art. cité, p. 40-41.

[15]  Apresjan Û. D., op. cit., p. 35, note 5.

[16]  Voir Šmelev A. D., Russkij âzyk i vneâzykovaâ dejstvitel’nost’ (La langue russe et la réalité extra-linguistique), Moscou, Âzyki slavjanskoj kul’tury, 2002, p. 295.

[17]  Mel’nikova A. A., op. cit., p. 141.

[18]  Le Dictionnaire des synonymes et mots de sens voisin de Bertaud du Chazaud (Paris : Gallimard, Quarto, 2003) donne cependant pour « ami » sept synonymes et dix-neuf mots familiers ou argotiques.

[19]  Mel’nikova A. A., op. cit., p. 201. L’auteur donne comme exemple la réclame de la bière à la télévision : les marques étrangères sont bues de manière individuelle, les marques russes, collectivement…

[20]  Ibid., p. 205. Cf. p. 213.

[21]  Sériot P., « Oxymore ou malentendu ? », art. cité, p. 37.

[22]  Laruelle M., La quête d’une identité impériale. Le néo-eurasisme dans la Russie contemporaine, Paris, Petra, 2007 ; voir aussi Désert M. et Paillard D., « Les Eurasiens revisités », Revue des Études slaves, LXVI/1, 1994, p. 73-86.

[23]  Dans L’Europe et l’humanité (1920), Trubeckoj déclarait que la civilisation universelle promue par le « cosmopolitisme » européen n’est en fait qu’un « chauvinisme pan-romano-germanique ». Contre l’européanocentrisme, il estimait que l’européanisation est « un mal absolu pour tout peuple non romano-germanique » (Troubetskoï Nikolaj Sergueevitch, L’Europe et l’humanité, P. Sériot (éd.), Liège, Mardaga, 1996, p. 81).

[24]  Laruelle M., La quête d’une identité impériale…, op. cit., p. 91.

[25]  Ibid., p. 92.

[26]  Ibid., p. 160.

[27]  Ibid., p. 264.

[28]  Ibid., p. 275.

[29]  Ibid., p. 165.

[30]  Kyrležev Aleksandr, Vlast’ cerkvi. Publicističeskie stat’i 1994-2000 (Le pouvoir de l’Église. Articles 1994-2000), Moscou, Mediasoûz, 2003, p. 43 (« Otkaz ot Evropy » (« Le refus de l’Europe ») : article paru en 1998 dans Russkaâ Mysl’ (La pensée russe), republié en 2006 sur le site [http://www.religare.ru/article25288.htm], site consulté le 17 septembre 2008). Cf. ibid., « Russkaâ religiâ », p. 56-62. Voir Krassikov Anatole, « La menace d'une idéologie “russo-orthodoxe” », Études, t. 403, 4, 2005, p. 321-328.

[31]  Dostoevskij Fedor, Polnoe sobranie sočinenij v 30 tomah (Œuvres complètes en 30 volumes), Léningrad, Nauka, 1972-1990, t. 10, p. 198-199 ; id., Les démons, trad. B. de Schloezer et S. Luneau, Paris, Gallimard (Pléiade), 1955, IIe partie, chap. I, 7, p. 265. Dans les Carnets des Démons, il y a plusieurs versions de la discussion entre Stavroguine et Chatov (t. 11, p. 177-193). Contrairement à la version définitive, c’est Stavroguine lui-même, et non Chatov, qui expose ses idées sur le Dieu national.

[32]  Dostoevskij F., op. cit., t. 18, p. 37, 55, 56 et 69. Voir Bogdanov Andrej Vladimirovič, Počvennichestvo. Političeskaâ filosofiâ A. A. Grigor’eva, F. M. Dostoevskogo, N. N. Strahova (Philosophie politique de A. Grigor’ev, F. Dostoïevski, et N. Strahov), Moscou, 2001. Voir Rouleau François, « Le nationalisme slavophile », in La Question russe. Essais sur le nationalisme russe, M. Niqueux éd., Paris, Éditions Universitaires, 1992, p. 41-48.

[33]  Dostoevskij F., op. cit., t. 23, p. 30

[34]  Ibid., t. 18, p. 37, t. 28, 1, 208.

[35]  Voir Niqueux M., « Le “Dieu russe” de Dostoïevski : histoire, sens et actualité de l’expression », in Religion et Nation. Parcours identitaires, discours des témoins, M. Niqueux éd., Cahiers de la MRSH-Caen, 43, 2005, p. 93-106.

[36]  Merežkovskij Dmitrij Sergeevič, Prorok russkoj revolucii (Le prophète de la révolution russe), Saint-Pétersbourg, Izd. M. V. Pirožkova, 1906.

[37]  Voir Verhovskij Aleksandr, « Političeskoe pravoslavie : russkie pravoslavnye nacionalisty i fundamentalisty 1995-2001 » (« Orthodoxie et politique : nationalistes et fondamentalistes orthodoxes russes 1995-2001 »), Neprikosnovennyj zapas (Réserve intangible), 6 (32), 2003 ; id., « Pravoslavnyj nacionalizm » (« Nationalisme orthodoxe »), Neprikosnovennyj zapas (Réserve intangible), 6 (32), 2003 ; Publiés en ligne [http://magazines.russ.ru/nz/2003/6/ver4.html], site consulté le 3 novembre 2008.

[38]  Sur le néo-paganisme qui se développe en Russie, voir Moroz Evgenij, « Le “védisme”, version païenne de l’idée russe », Revue d’études comparatistes Est-Ouest, 24 (3-4), 1993, p. 183-197 ; Pribylovskij V.,« Neojazyčeskoe krylo v russkom nacionalizme », Panorama, 49, 2002, publié en ligne [http://www.panorama.ru/gazeta/p49yaz.html], site consulté le 3 novembre 2008.

[39]  Métropolite Ioann, mort en 1995, Rus’ pravoslavnaâ.

[40]  C’est la commémoration de cet événement qui a été choisie – à la suite d’une initiative du Conseil interreligieux russe – pour le Jour de l’unité nationale (Den’ narodnogo edinstva), fixé au 4 novembre – fête de l’icône de Notre-Dame de Kazan, selon le nouveau style – par une loi du 29 décembre 2004, en remplacement du 7 novembre – anniversaire de la révolution d’octobre, remplacé de 1996 à 2004 par le Jour de l’accord et de la réconciliation… Les auteurs du projet de loi ont été deux députés de Edinaâ, Rossiâ et Vladimir Jirinovski (Wikipedia). La fête est désormais l’occasion de manifestations nationalistes (« Marche du peuple russe » en 2005).

[41]  Voir Kantor V. K., « Русская империя и православие », Oktjabr’ (Octobre), 7, 2002, [http://magazines.russ.ru/october/2002/7/kan.html], site consulté le 7 septembre 2008 ; repris in Voprosy filosofii (Questions de philosophie), 7, 2003, p. 3-22, sous le titre « Russkoe pravoslavie v imperskom kontekste : konflikty i protivorečija ».

[42]  Lossky Vladimir, Théologie mystique de l’Église d’Orient, Paris, Aubier, 1944, p. 12. Voir Pavlenko Evgenij, « Eres’ filetizma : istoriâ i sovremennost’ » (« L’hérésie du phylétisme : histoire et actualité » [http://www.portal-credo.ru/site/?act=lib&id=863], site consulté le 07 septembre 2008.

[43]  F. Rouleau traduit samobytnost’ (in Ivan Kiréievski et la naissance du slavophilisme, Namur, Culture et Vérité, 1990) par « originalité », « autonomie », « personnalité ». Dans les textes du Conseil de l’Europe, samobytnost’ sert à traduire « identité » (identity). On peut aussi traduire par « singularité ».

[44]  Voir [http://www.religio.ru/arch/05Apr2006/news/12438.html], site consulté le 7 septembre 2008.

[45]  Deklaraciâ o pravah i dostoinstve čeloveka X Vsemirnogo Russkogo Narodnogo Sobora (Déclaration sur les droits et les dignités de l’homme du Xe concile universel national russe), [http://www.mospat.ru/index.php?page=30728] site consulté le 7 septembre 2008. Toutefois, dans un discours à l’Unesco prononcé le 13 mars 2007, le métropolite Cyrille n’a pas repris les arguments essentialistes – qui semblent être à usage interne : il a seulement demandé de respecter le paragraphe 2 de l’article 29 de la Déclaration des droits de l’homme adoptée par l’ONU en 1948 (Russkaja Mysl’ du 16-22 mars 2007, p. 4-5).

[46]  Voir [http://www.religio.ru/arch/25Apr2006/news/relisoc/12594.html], site consulté le 7 septembre 2008.

[47]  Voir Aizlewood Robin, « The return of the Russian Idea in Publications 1988-1991 », Slavonic and East European Review, 71, 3, 1993, p. 490-499.

[48]  Voici quelques références, par ordre chronologique : Boronoev Aleksandr Ol’zonovič et Smirnov Petr Ivanovič, Rossiâ i russkie. Harakter naroda i sud’by strany (La Russie et les Russes : caractère et destin national), Saint-Pétersbourg., Leninzdat, 1992 ; Kas’ânova Kseniâ, O russkom nacional’nom haraktere (Du caractère national russe), Moscou, Institut nacional’noj modeli èkonomiki, 1994 (et [http://www.hrono.ru/libris/lib_k/kasyan0.html]) ; Sagatovskij Valerij Nikolaevič, Russkaâ ideâ : prodolžim li prervannyj put’? (L’idée russe : allons-nous poursuivre dans cette voie ?), Moscou, Novoe literaturnoe obozrenie, 1994 ; Vančugov Vasilij Viktorovič, Očerk istorii filosofii « samobytno-russkoj » (Essai sur la philosophie « authentique » russe), Moscou, Piligrim, 1994, 406 p. ; Podoprigora Vladimir Gerasimovič et Krasnopevceva Vitalij Merkur’evič, « Russkij vopros v sovremennoj Rossii » (« La question russe dans la Russie contemporaine »), Voprosy filosofii (Questions de philosophie), 6, 1995 ; Babako Vladimir Mihajlovič et Semenov Vladimir, Nacional’noe soznanie i nacional’naâ kul’tura (Metodičeskie problemy) (Conscience nationale et culture nationale [problèmes de méthodologie]), Moscou, 1996 ; Fedorovskij N. G. (éd.), V poiskah svoego puti : Rossiâ meždu Evropoj i Aziej (À la recherche d’un chemin : la Russie entre Europe et Asie), Moscou, Izd. 2-oe, Logos, 1997 ; Solov’ev Vladimir., Tajny russkoj duši. Voprosy. Otvety. Versii (Les mystères de l’âme russe. Questions, réponses, interprétations), Moscou, Russkij âzyk, 2001 ; Lur’e Svetlana, « V poiskax russkogo nacional’nogo haraktera » (“À la recherche du caractère national russe »), Otečestvennye zapiski, 3, 2002 (et plusieurs autres articles sur le sujet dans ce numéro) ; Brûšinkin Vladimir, « Fenomenologiâ russkoj duši » (“Phénoménologie de l’âme russe »), Voprosy filosofii (Questions de philosophie), 1, 2005, p. 29-39. Voir Le caractère national. Mythe ou réalité ? Sources, problématique, enjeux, articles rassemblés et présentés par Michel Niqueux, Cahiers de la MRSH-Caen, 48, 2007.

[49]  Voir Peskov Aleksej, « Germanskij kompleks slavjanofilov » (« Le complexe germanique des slavophiles »), Voprosy filosofii (Questions de philosophie), 8, 1992, p. 105-120.

[50]  Rouleau F., op. cit., p. 73.

[51]  Voir Pustarnakova V. F. (éd.), Filosofiâ Šellinga v Rossii, Saint-Pétersbourg, Izd-vo RXGI, 1998, p. 424-425.

[52]  Voir Zeldin Jesse, « Herder and Some Russians », in Mlikotin A.(éd.), Western Philosophical Systems in Russian Literature. A Collection of Critical Studies, Los Angeles, University of South California Press, 1979, p. 11-24 ; Pénisson Pierre, « L’imaginaire européen de Johann Gottfried Herder », in Dmitrieva K. et Espagne M. (éd.), Transferts triangulaires France-Allemagne-Russie (Philologiques, IV), Paris, MSH, 1996, p. 141-186.

[53]  Herder J. G., « Sur la nouvelle littérature allemande », traduit par P. Caussat in Caussat P., Adamski D. et Crépon M., Les langues, source de la nation. Messianismes séculiers en Europe centrale et orientale, Liège, Mardaga, 1996, p. 88.

[54]  Voir Herder J. G., Journal de mon voyage en l’an 1769, trad. Max Rouché, Paris, Aubier, 1942, p. 121-123.

[55]  Dekens Olivier, Herder, Paris, Les Belles Lettres, 2003, p. 135.

[56]  Caisson Max, « Lumière de Herder », Terrain, Revue d’ethnologie de l’Europe, n° 17, En Europe, les nations (octobre 1991) : [http://terrain.revues.org/document3007.html], site consulté le 7 septembre 2008 ; voir Bollacher Martin, « J. G. Herder et la conception de l’humanisme », Les Études philosophiques, 3, 1998, p. 291-304.

[57]  Thouard Denis, « Présentation », in Humboldt Wilhelm von, Sur le caractère national des langues et autres écrits sur le langage, Paris, Seuil (« Points »), 2000, p. 13.

[58]  Voir Auroux Sylvain, « Le langage et la philosophie », in Encyclopédie philosophique universelle, t. IV, Paris, PUF, 1998, p. 5-16.

[59]  Voir Barabanov Evgenij, « Russkaâ filosofiâ i krizis identičnosti » (« La philosophie russe et la crise de l’identité », Voprosy filosofii (Questions de philosophie), 8, 1991, p. 102-116 (l’auteur parle de « névrose d’originalité » [nevroz svoeobraziâ]).

[60]  Voir la polémique entre Vâčeslav Ermolaev, Aleksandr Titov et Marlène Laruelle ; Laruelle M., « L. N. Gumilev, une œuvre contestée : réponse aux critiques de V. Ermolaev et A. Titov », Revue des Études slaves, LXXVI, 4, 2005, p. 499-518.

Pour citer cet article

Michel Niqueux, « Discours essentialistes dans la Russie d’aujourd’hui, ou le retour de l’âme russe », colloque La Russie et l’Europe : autres et semblables, Université Paris Sorbonne – Paris IV, 10-12 mai 2007 [en ligne], Lyon, ENS LSH, mis en ligne le 26 novembre 2008. URL : http://institut-est-ouest.ens-lsh.fr/spip.php?article133