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La propriété du logement en Russie aujourd’hui : des privatisations au marché immobilier.

Hélène Richard

Université de Lyon, IEP-Lyon II

Index matières

Mots clés : logement, Moscou, privatisations, transformations post-soviétiques, troc

Plan de l'article

Texte intégral

L’attention des principaux analystes de la transition économique en Russie s’est portée essentiellement sur la conduite controversée de la privatisation des entreprises qui a débouché sur la concentration du capital productif dans les mains d’un petit nombre d’acteurs économiques[1]. La privatisation du parc de logements a été moins étudiée bien qu’elle ait eu des répercussions importantes sur la vie quotidienne des Russes et sur la physionomie des trajectoires résidentielles post-soviétiques. Initiée au milieu des années 1980 par les premières réformes libérales gorbatcheviennes, elle prend un tournant en 1990 avec la loi sur la municipalisation du parc immobilier. La majorité des logements appartenant aux organes et entreprises d’Etat passent alors sous la tutelle des municipalités chargées de définir les modalités de la privatisation et le prix de rachat du mètre carré par les occupants désirant devenir propriétaires de leur logement. La mise en œuvre complexe de ces privatisations payantes conduit le gouvernement à se tourner vers la solution d’une privatisation gratuite par la loi du 23 décembre 1992. Le choix de rendre gratuit l’accès à la propriété s’explique moins, dans le contexte d’alors, par le souhait de l’Etat de se décharger de l’exploitation coûteuse du parc de logements que par l’idée d’assurer rapidement aux citoyens un capital minimum pour faire face à une « transition » houleuse (retards de salaires, licenciements…). A partir de 1992, les occupants des logements municipaux ou d’Etat sont simplement tenus de prouver qu’ils habitent légalement un logement pour en recevoir le titre de propriété[2]. Notons que le principe de gratuité est bien spécifique à la Russie. En effet, la plupart des démocraties populaires d’Europe de l’Est ont mené, à des ampleurs variables, des politiques combinant la vente à bas prix du patrimoine locatif des collectivités publiques aux anciens occupants et la restitution des biens immobiliers aux familles expropriées lors de l’instauration du régime communiste après 1945. Plus de soixante-dix ans après la révolution d’Octobre, cette dernière option était évidemment exclue pour la Russie.

Après l’instauration du principe de gratuité, le processus de privatisation du parc immobilier s’accélère considérablement. Dès 1994, le taux de résidences principales sous le régime de la propriété privée atteint 47%[3], très proche du même indicateur français qui s’élève à 54%[4] en 1996. Ce mode d’accès inédit et massif à la propriété ne manque pas d’avoir des impacts importants – quoique différenciés – sur les histoires résidentielles de nombreux Russes. Ainsi, outre l’exhibition d’indicateurs macroéconomiques sur la transformation des structures de la propriété en Russie, il convient de décrire la mise en place concrète des réformes qu’on vient d’évoquer. Nous nous intéresserons moins aux difficultés d’ordre juridique posées par les privatisations – par ailleurs considérables[5] –, qu’à l’impact de ces réformes sur les trajectoires résidentielles et les pratiques économiques liées au logement.

Les analyses de la « transition » à l’économie de marché ont privilégié un point de vue normatif et macroéconomique. A l’inverse, notre démarche s’inscrit dans la lignée des travaux d’ethnographie économique[6] qui privilégient l’observation des pratiques économiques in situ abandonnant ainsi l’analyse des transitions à l’Est comme la réduction progressive d’un écart par rapport au modèle supposé pur des économies occidentales. Notre travail s’appuie principalement sur un corpus d’entretiens constitué en mars et avril 2007 auprès de 17 habitants de Moscou et sa proche banlieue ayant acheté plus ou moins récemment un logement[7] portant sur leur parcours résidentiel et le déroulement concret de ou des transactions immobilières qu’ils ont réalisées. Cette enquête très qualitative n’a pas pour ambition de se substituer à l’analyse des données statistiques macrosociales, ni même à l’étude des structures institutionnelles, politiques et économiques dans lesquelles ces récits de vie se déploient. A ce niveau d’analyse, il est possible de saisir l’expérience du marché, saisir les modes d’appropriation de cette macropolitique que fut la privatisation des logements, et cela, au plus près des stratégies résidentielles et des pratiques économiques sur le marché immobilier émergent. Que se passe-t-il lorsqu’on devient subitement propriétaire de son appartement à Moscou dans les années 1990 ? Comment se saisit-on des nouveaux mécanismes marchands alors que l’accès au logement et la mobilité résidentielle se réalisaient à travers les voies de l’économie socialiste ? Assiste-t-on à une conversion des pratiques ou à une reconversion de certains savoir-faire ? Comment les transactions immobilières marchandes se sont-elles institutionnalisées et imposées comme mode dominant de la mobilité résidentielle aujourd’hui depuis le début des années 1990 ?

 

A travers ces récits de vie, et dans la perspective d’une comparaison avec le marché immobilier actuel, on s’intéressera aux modalités de la mobilité résidentielle durant la période soviétique et plus particulièrement à la pratique du troc d’appartements. On étudiera ensuite les usages de la privatisation des logements par leurs occupants et la manière dont les privatisations ont avalisé et renforcé les inégalités héritées de la période soviétique. Enfin, on abordera un aspect plus général de l’étude des transitions à l’Est, à savoir la qualification de certaines pratiques économiques actuelles comme des héritages de la période soviétique. Comment administrer la preuve d’une continuité avec le passé soviétique dans ce contexte d’intense recomposition économique et sociale ? Comment penser le poids du passé sur un autre mode que celui de l’inertie des structures ou des habitudes, refuge de l’analyse qui tarit la possibilité d’entrer dans la fabrication complexe de la société post-soviétique ?

 

Obtenir et échanger un logement en Union soviétique

 

Dans les économies dites planifiées, le lieu de résidence était-il assigné par l’Etat aux administrés ? La possibilité de choisir et de changer de logement était-elle extrêmement restreinte ? C’est du moins la thèse des travaux présentant la libéralisation des transactions immobilières comme la libération d’une mobilité résidentielle bridée dans le système soviétique[8]. Leur critique porte principalement sur l’irrationalité économique de la quasi-gratuité des loyers entraînant un rationnement de la demande par le principe de la file d’attente. Ce système instaurerait un fort immobilisme résidentiel tout en encourageant un rapport attentiste des citoyens à leurs conditions de logement, une remise de soi aux pouvoirs publics. Outre que ces analyses ignorent l’existence de freins puissants à la mobilité résidentielle sur les marchés immobiliers libéralisés (insolvabilité, barrières d’accès au crédit, cautions locatives) ou encore l’existence de mobilités résidentielles négatives, vers les segments dévalorisés du parc immobilier, elles minorent la place que le système soviétique ménageait pour les stratégies résidentielles. La rupture des années 1990 est alors interprétée comme le passage d’une économie centralisée allouant arbitrairement le bien rare qu’était le logement à une économie libérale supposée élargir la gamme des choix individuels dans la construction des stratégies résidentielles. Or, le système des listes d’attente n’implique en rien un rapport passif des administrés à l’appareil d’Etat.

Certes, ces stratégies résidentielles se déployaient sous de fortes contraintes, en particulier dans le contexte d’une pénurie structurelle de logements, forte dans le parc municipal, plus atténuée dans les parcs détenus par les entreprises et administrations au profit de leurs employés[9]. Mais, alors qu’on oppose souvent la masse de la population à une nomenklatura extrêmement privilégiée, il est plus juste de présenter les inégalités face au logement comme un continuum où la taille de la ville, de l’entreprise-employeur, l’insertion dans des réseaux proches des décideurs mais aussi les politiques visant à récompenser les catégories les plus « productives » et méritantes aux yeux du régime[10] exercent leur influence à tous les niveaux de l’échelle sociale.

Les citoyens russes utilisaient les règles du jeu économique soviétique et ses marges pour construire leurs trajectoires résidentielles. Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut décrire quelques types de stratégies résidentielles. L’une d’elles consistait à s’extirper de la filière municipale en s’embauchant dans une entreprise proposant un logement en échange d’un engagement durable de l’employé dans l’entreprise. Pratique plus en marge des règles officielles mais largement répandue, il était également possible de déclarer dans un logement un nombre d’occupants supérieur à la réalité. L’attribution d’un logement s’effectuant lorsque le logement était considéré comme surpeuplé au vu de normes prédéfinies, en jouant sur l’écart entre la domiciliation officielle (propiska) et le lieu de résidence effectif, un ménage pouvait obtenir le droit de s’inscrire sur une liste d’attente ou d’accélérer la procédure en présentant son cas comme urgent.

Concernant la circulation des logements, l’achat de logement était interdit ; en revanche, le troc d’appartements était une pratique pleinement légale. La procédure s’effectuait auprès d’un centre municipal des échanges [gorodskoj centr obmena] qui enregistrait l’accord des parties en modifiant le nom des occupants du logement sur le registre central des domiciliations. En l’absence de prix de marché s’imposant à tous, l’échange se produisait si les valeurs subjectives attribuées par chacune des parties aux appartements échangés s’égalisaient[11]. Un ménage pouvait accepter de perdre des mètres carrés pour obtenir un appartement familial indépendant[12] ou pour se rapprocher de proches. Réciproquement, un occupant pouvait obtenir des mètres carrés supplémentaires si son logement intéressait fortuitement un co-échangeur pour sa localisation. Des compensations, souvent en nature (meubles, parcelle de terrain à la périphérie de Moscou, …), rarement en monnaie, pouvaient également avoir lieu. L’absence de prix de marché, paradoxalement, libérait des possibilités d’échanges qui n’auraient pas eu lieu dans le cadre d’un marché classique où le marché décide à la place des échangeurs ce que vaut leur appartement. Il est symptomatique, à cet égard, que des enquêtés nous aient déclaré regretter un échange effectué durant la période soviétique alors qu’au moment de sa réalisation, l’échange était perçu comme avantageux.

Il était rare qu’un échange bilatéral se réalise. Le troc s’effectuait plus souvent par l’intermédiaire de chaînes d’échanges fermées semblables à un jeu de chaises musicales impliquant parfois plus d’une dizaine d’appartements. Pratique légale dans son principe, ces chaînes complexes se formaient néanmoins par l’intermédiaire d’agents immobiliers officieux (makler) qui se rémunéraient soit en argent, soit en positionnant avantageusement leur appartement dans la chaîne pour bénéficier largement de l’échange. Le makler cherchait un premier candidat à la reprise de son appartement puis cherchait un second candidat à la reprise de l’appartement du premier et ainsi de suite (grâce à des liens d’interconnaissance, grâce aux propositions déposées dans la cartothèque du centre dans échanges, par le repérage de petites annonces regroupées dans des lieux que la coutume avait dédié à cet usage). Le processus se prolongeait jusqu’au moment où le makler libérait un appartement qu’il désirait lui-même récupérer. Une fois la chaîne virtuellement constituée, tous les participants se rendaient au centre des échanges pour intervertir leurs noms dans le registre des domiciliations.

Les usages de l’échange étaient multiples. Il permettait de se rapprocher de son lieu de travail, de sa famille, assurait la décohabitation des générations (échange d’un grand appartement contre deux petits) ou leur rapprochement (échange de deux petits appartements contre un grand). Il était aussi mobilisé pour des raisons plus complexes où entraient en jeu les règles administratives de l’attribution de logement. Un exemple rendra les choses plus parlantes. En 1985, Tatiana organise un échange impliquant quatorze appartements. Dans cette chaîne intervient un échange singulier. Une famille accepte de quitter son deux-pièces pour s’installer dans deux pièces d’un appartement communautaire qu’elle doit partager avec un homme seul. En réalité, cet homme a la confirmation de la municipalité qu’il recevra prochainement un studio indépendant. Ainsi, la famille, anticipant son départ, accepte l’échange puisqu’elle est autorisée à récupérer la pièce libérée afin d’éviter le surpeuplement du logement. La famille qui occupait auparavant ces deux pièces n’avait pas la taille suffisante pour exercer ce droit et accepta un appartement de deux pièces lui-même intégré dans la chaîne.

La mobilisation des règles de droit – ici le droit du logement et l’ensemble des règlements régissant la distribution de ce bien – comme ressources dans l’action est aisément descriptible dans le cadre d’une sociologie wébérienne du droit[13]. Cette perspective, aujourd’hui classique, prend une importance particulière pour le cas soviétique. En effet, l’approche totalitariste du régime stalinien a mis au centre des travaux historiques la description des moyens de répression de l’Etat et l’arbitraire de son pouvoir. Oppresseur, l’Etat modelait la société qui, perdant toute autonomie, perdait également tout intérêt à être étudiée en soi. Le droit était décrit pour son caractère formel et factice, faisant écran au régime réel de non droit. La nouvelle histoire sociale sur les régimes nazis, soviétiques et socialistes a contesté le premier pan de cette perspective en décrivant les formes de résistances sociales à l’appareil d’Etat, en particulier pour la période stalinienne[14]. Le regain de l’intérêt pour la société « vue d’en bas » a gagné les études sur l’économie soviétique. Pour la période post-stalinienne, des travaux ont mis en avant les formes de subversion sociale permises par des pratiques économiques officieuses[15] (corruption, marché noir, troc de marchandises interentreprises). Dans ces travaux, on souligne que l’introduction de souplesse et d’horizontalité dans un système économique rigide et centralisé est permise par des pratiques illégales, dans les interstices de l’appareil d’Etat. Or, la pratique de l’échange d’appartements fait figure d’exception. Elle met en évidence l’existence au cœur même de la légalité soviétique d’un mode d’allocation des ressources qui n’est ni centralisé, ni marchand, ni officiel, ni officieux. Ainsi, l’exemple du troc d’appartements invite à ramener le cas russe au cas général d’une société industrielle et complexe traversée de part en part par du droit, des normes. Les interprétations et les mobilisations de la règle de droit, la combinaison de pratiques légales et illégales dans un même mouvement montrent que l’autonomie du social sous la période soviétique ne se réalise pas toujours en dehors du droit mais aussi avec.

 

La privatisation : les réappropriations d’une macropolitique

 

Ce système de distribution et de circulation des logements fut remis en cause à partir de 1993 avec l’accélération des privatisations. Deux questions se posent alors : d’une part, cette politique a-t-elle concerné uniformément toutes les catégories sociales et selon quel rythme ? D’autre part, comment se sont transformées les pratiques économiques soviétiques qu’on vient d’évoquer ainsi que les structures de la propriété immobilière ?

Le droit de privatisation portant sur le logement déjà occupé avalise et renforce les inégalités formées durant la période soviétique. Dès décembre 1994, les appartements des immeubles de qualité et centraux sont massivement privatisés alors que les appartements du parc moins prestigieux et excentré sont laissés plus souvent par leurs occupants aux mains de la municipalité[16] (fig. n°1). Plusieurs raisons expliquent la frilosité des Russes les moins bien dotés à privatiser. La première est qu’elle oblige le nouveau propriétaire à prendre à sa charge la maintenance des parties et installations privatives de leur logement, pouvant être très coûteux dans le parc dégradé (papier peint, radiateurs, sanitaires). La seconde tient au fait que de nombreux Russes sont inscrits sur liste d’attente municipale pour l’obtention d’un logement et désirent exercer leur droit unique[17] à la privatisation sur ce logement neuf qu’ils anticipent de recevoir. Cela explique que le droit à la privatisation s’exerce pour certains stratégiquement au moment où ils ont besoin de vendre pour acheter ou dans le but de constituer un capital à transmettre à la génération suivante. Ainsi, encore aujourd’hui, il reste un minorité importante d’appartements non privatisés dans le parc immobilier. Selon le directeur du département de la politique du logement et du fonds municipal de logements, en 2006, 900 000 appartements ne sont pas privatisés, soit 25% des appartements de la capitale[18]. Notons cependant que ce chiffre a sans doute diminué en raison de la nouvelle loi du 30 juin 2006 qui prévoit l’abolition du droit à la privatisation gratuite au 1er mars 2010, incitant ainsi les locataires du parc public à choisir rapidement entre l’accès à la propriété ou le maintien dans le parc public.

 

 

Figure 1. Corrélation entre la qualité, la localisation des logements et leur taux de privatisation à Moscou en décembre 1994 (en % de logements privatisés dans la catégorie concernée)

Type d'appartement

Localisation par rapport au centre*

Moyenne

1

2

3

4

5

Appartements communautaires

13

10

-

-

-

5

Appartements séparés dont

65

56

40

33

34

40

Immeubles de l'époque khrouchtchévienne (années 1960)

-

37

32

27

-

29

Immeubles en matériaux préfabriqués (années 1970)

-

49

39

32

30

36

Immeubles en briques (années 1970)

50

53

40

46

-

45

Immeubles récents en matériaux préfabriqués

-

51

44

36

34

38

Immeubles anciens et bas

47

25

36

29

-

36

Immeubles récents en briques

73

74

30

43

-

63

Immeubles de l'époque stalinienne

77

70

50

-

-

65

Moyenne

49

49

36

32

36

37

Source : The Moscow Longitudinal Household Survey, Décembre 1994 (Guzanova, 1998)

* Localisation : 1 - Centre-ville ; 2 - Limitrophe à l’arrondissement central ; 3 – loin du centre mais pas aux limites de la ville [outskirts] ; 4 - Confins de la ville [outskirts] ; 5 - à l’extérieur du périphérique. Notons que les immeubles de la période khrouchtchévienne et plus généralement, les immeubles en matériaux préfabriqués sont d’une qualité moindre que les immeubles de la période stalinienne et plus généralement, que les bâtiments construits en briques.

 

Par ailleurs, la libéralisation des transactions immobilières qui accompagne la privatisation inaugure une rapide transformation de la géographie sociale de Moscou. Les appartements communautaires (partagés par plusieurs familles) du parc bourgeois prérévolutionnaire ont les premiers suscité l’intérêt des investisseurs, à Moscou comme à Saint-Pétersbourg. Selon le principe d’universalité, le droit à la privatisation a été ouvert même aux occupants d’appartements communautaires. Chacun était autorisé à privatiser sa pièce, indépendamment des autres co-résidents. Les agences immobilières négociaient donc individuellement le départ de chaque occupant, soit en leur offrant un autre logement en contrepartie (généralement situés dans les grands ensembles[19] aux marges de Moscou), soit une somme d’argent.

Outre le phénomène du retour des populations aisées dans le centre, le cas des appartements communautaires éclaire les voies complexes du passage de la propriété d’Etat à une propriété immobilière privée destinée à devenir dominante. Prenons là encore un exemple. En 1997, Tania et Kolia sont un couple d’artisans en tricotage, parents de deux enfants. Ils vivent à Moscou dans un appartement municipal qu’ils ont obtenu par un échange. Ils ont, par ailleurs, acheté dès 1993 un appartement à Lioubertsy, ville à la périphérie-est de Moscou, pour protéger leurs économies de l’inflation sans l’habiter, ni le louer. En 1997, Tania repère une petite annonce dans un journal spécialisé, proposant un grand appartement communautaire occupé par deux familles voisines qui désirent habiter indépendamment. Tania et Kolia sont les clients idéaux car la situation est compliquée. En effet, la première famille vend deux chambres privatisées. La deuxième famille, elle, refuse de privatiser et de vendre ses pièces. Les affaires criminelles et les escroqueries sur le marché de l’immobilier sont trop alarmantes, il n’est pas question pour eux de prendre des risques. Cette famille cherche à échanger les deux autres chambres non privatisées contre un appartement non privatisé aussi (conformément à la pratique soviétique). Tania et Kolia décident alors de vendre leur appartement à Lioubertsy afin d’acheter les chambres privatisées. Ils offrent à la deuxième famille leur appartement municipal contre les deux autres chambres. L’appartement est donc pour moitié leur propriété privée, pour moitié la propriété de la ville. Tania et Kolia préfèrent attendre le dernier moment fixé par la loi pour privatiser les pièces restantes, afin de bénéficier le plus longtemps possible de l’intervention des services de maintenance de la ville en cas de sinistre.

Ce n’est qu’en se penchant à ce niveau microsociologique qu’on peut saisir les modalités concrètes de cet accès massif à la propriété. Contrairement à la privatisation du secteur productif, elle a reposé sur l’initiative des occupants, dont une partie avaient de bonnes raisons d’en retarder le moment. De même, l’imbrication des propriétés dans les mêmes ensembles immobiliers (appartement ou immeuble) ne peut s’expliquer qu’en se rapportant aux réappropriations concrètes de cette privatisation et aux anciens découpages des appartements communautaires. La persistance des structures soviétiques a une force variable : alors que l’imbrication de deux types de propriété dans les anciens appartements communautaires est transitoire, la présence d’appartements publics et privés dans un même immeuble prend un caractère plus structurel.

Ce n’est donc pas une inertie mécanique des structures économiques qui explique la persistance d’une propriété publique importante dans le parc mais bien la manière dont cette macropolitique a été réappropriée par les citoyens. Son rythme et ses formes ont été modelés par les stratégies résidentielles, elles-mêmes fortement déterminées par le capital de départ, à savoir la qualité et l’emplacement du dernier appartement obtenu dans la période soviétique. La pratique de l’échange n’a pas disparu immédiatement avec la libéralisation des transactions. Institution économique soviétique par excellence, il a, un temps, permis de suppléer au vide institutionnel transitoire et, au début des années 1990, il est resté un mode de circulation à part entière à côté des nouveaux achats-ventes. Sa part est aujourd’hui minime dans le volume des transactions même si le nouveau code du logement de 2005 a reconduit la possibilité d’échange entre deux appartements privés[20]. Bien que le troc ait aujourd’hui quasiment disparu, le principe de la chaîne est encore mobilisé sur le marché immobilier actuel.

 

Du troc aux chaînes d’achats-ventes d’appartements : un héritage soviétique ?

En 2005, 80% des transactions immobilières sur le marché de seconde main relèvent de schémas complexes appelés eux aussi « chaînes » [cepočki][21] ou encore « transactions alternatives » [al’ternativy] par opposition aux ventes nettes [čistye prodaži] (l’appartement vendu est vide et directement disponible) et aux achats nets [čistye pokupki] (l’acheteur a en main des liquidités disponibles immédiatement). Une transaction alternative est une transaction dont la réalisation dépend d’une série d’autres transactions. Le vendeur V1 et l’acheteur A1 s’engagent à opérer la transaction lorsque le premier trouve lui-même un appartement à acheter (V2) et le second parvient à trouver un acheteur pour reprendre son propre appartement et (A2) obtenir ainsi des liquidités. Si A2 et V2 sont dans la même situation que A1 et V1, la chaîne continue. Elle s’arrête lorsqu’à une extrémité, une personne dispose d’argent liquide immédiatement disponible, et qu’à l’autre, un logement vide est en vente. Si le mot « chaîne » est resté dans le vocabulaire immobilier, doit-on voir derrière la persistance du mot la continuité d’une pratique, en d’autres termes un héritage de la période soviétique ?

L’usage peu contrôlé de la notion d’héritage dans les travaux sur la démocratisation à l’Est et se réclamant de la théorie de la « dépendance au chemin » [path dependency] a déjà été critiqué par Michel Dobry[22]. Il met en garde contre l’appauvrissement des applications de cette théorie se résumant souvent à affirmer que le « passé compte ». Cette critique est parfaitement transposable aux travaux sur le développement économique des pays ex-socialistes[23]. Bien qu’on convienne que le passé de ces économies influe sur leurs formes actuelles, il reste à prouver qu’une pratique économique prenant place dans l’économie actuelle est un héritage du système communiste. En vertu de quoi et comment se serait-elle maintenue alors que d’autres disparaissaient ?

L’administration de la preuve d’un héritage n’est pas aisée. On peut, dans un premier temps, relever quelques traits communs entre le troc d’appartements soviétique et le marché immobilier secondaire actuel. Dans les deux cas, les participants de la chaîne sont tous interdépendants. Contrairement au marché immobilier français où le vendeur et l’acheteur se rencontrent ponctuellement et ne dépendent pas des autres transactions sur le marché immobilier, le principe des chaînes fait dépendre chaque participant de la réussite de l’ensemble des transactions. Ainsi, si un vendeur renonce à vendre son bien ou un acheteur à acheter l’appartement pour lequel il s’est engagé, l’ensemble de la chaîne s’écroule. Par ailleurs, dans les deux systèmes, le makler ou l’agent immobilier concentrent leur effort sur la constitution d’une chaîne d’appartements afin d’organiser une série de déménagements, chacun déménageant dans un logement libéré par le participant adjacent. Ainsi pour disposer concrètement du logement acheté, l’acheteur doit attendre que la série de déménagements qui précède le sien soit effectuée.

La figure centrale de la transaction reste l’agent immobilier comme le fut le makler à la période soviétique. Le travail de préparation tant fonctionnel que juridique de la transaction était indispensable à la réalisation de la série d’échange comme elle l’est aujourd’hui pour les transactions immobilières. Les témoignages de makler recueillis mentionnent que ces derniers vérifiaient en amont si chaque échange était légal au regard des normes en vigueur (norme de mètres carrés par personne maximum, norme de protection de l’enfance…) avant de se présenter au bureau des échanges qui validaient leur transaction. A Moscou, actuellement, l’agent immobilier a gardé cette fonction juridique, laissant au second plan la figure du notaire. Les articles 549 et 550 du Code civil prévoient que le contrat de vente peut être conclu par un simple engagement écrit et signé par les deux parties. Si la notion de pré-contrat (predvaritel’nyj dogovor) existe, ce dernier n’est pas obligatoire pour l’achat-vente d’un bien immobilier. Dans les faits, l’agent immobilier propose un modèle-type de contrat de vente, assiste à la signature et organise le montage de la transaction en réunissant de toutes les pièces justificatives nécessaires. Il est ensuite, très souvent, mandaté par le vendeur et l’acheteur pour effectuer l’enregistrement du contrat et de la mutation du titre de propriété dans le registre central des droits sur la propriété immobilière et des mutations immobilières (edinyj gosudarstvennyj reestr prav na nedvižimoe imuŝestvo i sdelok s nim) auprès de la direction locale du service d’enregistrement fédéral (Upravlenie Federal’noj registracionnoj služby po Moskve), l’équivalent de notre bureau des hypothèques. Le vendeur muni du certificat d’enregistrement du contrat se présente alors à la banque et peut accéder au coffre-fort[24] où l’acheteur a préalablement déposé, en liquide, généralement en dollars[25], règlement de la vente. Cette institution valide – ou non – le travail effectué en amont par l’agent immobilier. A cette étape, les pouvoirs publics sont particulièrement attentifs aux droits et servitudes attachés au bien immobilier. En particulier, ils vérifient si d’autres membres de la famille ou d’autres tiers n’ont pas un droit d’occupation du logement. Ainsi, l’agent immobilier s’est imposé dans les faits comme guichet unique – à l’image d’un notaire en France – bien qu’en droit, les parties puissent s’adresser elles-mêmes au service en question. Bien que le notariat public[26] existe en Russie, le recours à un notaire dans le cadre d’une transaction immobilière reste, à Moscou, relativement marginal sauf lorsqu’il s’agit de mettre en place un contrat avec des engagements réciproques complexes et lorsque « les parties veulent donner le caractère d’authenticité attaché aux actes de l’autorité publique »[27]. Ainsi, la configuration des transactions (agent immobilier – Etat – parties de l’échange) et leur forme (chaînes) gardent des traits communs avec la période soviétique malgré le changement profond de régime de droit.

L’élément décisif qui explique cette continuité réside dans un mode de circulation des logements adapté à la faible liquidité (ou pénurie de monnaie) du système de troc d’appartements hier et du marché aujourd’hui. Sur le marché du troc, cette contrainte est stricte puisqu’il est interdit de monétiser les transactions (vendre ou acheter), le logement occupé appartenant à l’Etat. Sur le marché actuel, la contrainte est issue des caractéristiques de la demande et du système bancaire, en particulier la diffusion encore limitée, bien que rapide[28], du crédit immobilier[29] ainsi que la quasi-absence d’instruments bancaires comme les prêts-relais. En France, au 1er janvier 2007, l’encours des crédits immobiliers représentait 9820 € par habitant contre 642 € en Russie et 810 € à Moscou[30]. Ainsi, si le taux d’accessibilité au logement[31] à Moscou approche le taux moyen dans l’UE (3 années théoriques pour Moscou, 3,5 pour l’UE, respectivement en 2005 et 2002[32]), cet indicateur laisse dans l’ombre les instruments bancaires qui permettent de convertir un revenu futur en financement pour l’achat d’un logement. Or, le crédit immobilier en Russie n’impulse pas encore un mouvement massif de primo-accession à la propriété comme ce fut le cas dans les années 1960 en France. Les offreurs et les demandeurs sont, pour la plupart, des individus qui vendent un appartement pour en acheter un autre.[33] Ainsi, les sources de la contrainte de liquidité sont très différentes pour les échangeurs et les acheteurs : dans un cas, elle est constitutive d’un mode de circulation des biens sans monnaie, dans l’autre, elle est issue des caractéristiques du système de crédit.

On peut ainsi interpréter la formation de ces chaînes d’achats-ventes comme la transformation de l’échange soviétique en une pratique adaptée au nouveau système marchand. Alors que le marché du troc permettait d’assouplir le principe d’attribution centralisée du logement sans le recours à un mécanisme marchand, celui des chaînes d’achats-ventes permet, quant à lui, de contourner le problème de l’accès restreint au crédit. Il permet d’éviter, en d’autres termes, le blocage du marché immobilier. Ainsi, les éléments du passé ne sont pas, dans cette perspective, des résidus entravant le fonctionnement optimal du marché mais bien une ressource collective pour faire face à un contexte en partie nouveau. Si notre exemple concerne une portion minime des multiples transactions marchandes qui tissent l’économie russe, son analyse rejoint celle de Jacques Sapir sur le troc de marchandises interentreprises[34], étayée par le travail ethnographique de Caroline Dufy[35]. Cette pratique consiste à substituer au système de paiement monétaire un échange généralisé de marchandises à l’intérieur d’un réseau d’industries interdépendantes. Répandue dans le système industriel soviétique, elle a été réinvestie dans les années 1990 au moment où le secteur bancaire, déstabilisé par la politique extrêmement restrictive de la Banque Centrale, ne jouait pas son rôle de prêteur pour la constitution des fonds de roulement des entreprises. Les réseaux de directeurs d’entreprises, dépendants étroitement les uns des autres, en raison de la non substituabilité de leurs produits, continuaient de s’échanger des produits ou des titres de créances (veksel')[36] conformément aux pratiques économiques soviétiques. Ainsi, la continuité la persistance des chaînes n’est pas la reproduction par habitude[37] des mêmes schémas d’action ; ce serait davantage la mobilisation collective de pratiques anciennes répondant à des contraintes, quant à elle, inédites. Corrélativement, la continuité des pratiques économiques, si l’on est capable de montrer comment elles s’adaptent, n’est pas contradictoire avec l’existence de transformations radicales des structures économiques.

 

Du troc d’appartements à l’émergence du crédit immobilier, l’étude des pratiques immobilières constitue un bon observatoire des transformations économiques profondes en Russie depuis la chute du régime communiste. L’économie socialiste présentée comme l’envers négatif de l’économie de marché a été peu étudiée dans son fonctionement concnret. Ainsi, les études sur les transitions économiques ont pâti d’une vision tronquée du point de départ de cette transition, voyant des ruptures où se dessinaient en réalité des transformations, et des inerties où la nouvelle donne économique incitait à mobiliser activement les anciennes pratiques. Corriger cette vision ne consiste pas à minorer les transformations institutionnelles depuis la chute du communiste ou au contraire, à repérer dans l’économie soviétique des espaces souterrains et informels où, déjà, se développaient des formes marchandes de l’échange. Il est intéressant d’étudier le cœur même du système soviétique où se sont institués – légalement dans leur principe, à la limite de l’informel et de l’institutionnel dans leur pratique – des modes de circulation des biens qui échappent tant au modèle du marché (en raison de l’absence de prix qui s’impose à tous) qu’au modèle du centralisme économique (en raison d’une large autonomie de certains acteurs dans leurs comportements économiques). Par ailleurs, le poids du passé mis en avant dans la nouvelle génération des travaux sur les transformations post-soviétiques est intéressant à étudier si on parvient à montrer comment il pèse. Ainsi les chaînes de transactions immobilières se sont maintenues parce qu’elles répondaient au problème de la faible liquidité du marché. Il est fort probable qu’à moyen terme le crédit immobilier se substitue aux chaînes et ouvre le marché de seconde main aux primo-accédants et pas uniquement aux bénéficiaires des privatisations des années 1990. Ainsi, le passé pèse non par l’inertie mécanique des structures économiques ou par attachement des agents à leurs habitudes mais dans la mesure où des pratiques trouvent, sous des formes modifiées, leur utilité dans la nouvelle donne économique. Cependant, le financement croissant de l’achat de logement par le crédit immobilier en Russie peut rapidement rendre obsolète le « bricolage » ingénieux des chaînes d’achat-vente qui risquent ainsi de disparaître. Les pratiques sociales héritées n’ont donc pas forcément une inertie inversement proportionnelle au temps qu’elles ont mis à nous parvenir. Si les structures et pratiques sociales du passé « comptent », repérer pourquoi et quand elles ne « comptent » plus permet alors de mieux cerner les mécanismes des transformations post-soviétiques.

 

Notes

[1]   Lapina Natalia, « Le secteur privé de 1986 à 1991 », Courrier des Pays de l’Est, N°400, juin 1995, p.14-20. Kouznetsov Viktor, « La privatisation en Russie 1992-1995 », Courrier des Pays de l’Est, N°400, juin 1995, p. 21-27 ; Clarke Simon, What about the workers ? Workers and the transition to capitalism in Russia, Londres, Verso, 1993.

[2]   Pour les modalités complexes de la privatisation des logements en présence d’occupants mineurs, dans le cas des couples divorcés et dans celui des appartements communautaires, voir la thèse d’Aurore Chaigneau (Chaigneau Aurore, Le droit de propriéte à la lumière de l’expérience russe, thèse de droit, Nanterre, 2005).

[3]   Struyk, Raymond J., Homeownership and housing finance policy in the former Soviet bloc. Costly populism, Washington, The Urban Institute, 2000, p. 6 .

[4]   Omalek, Laure (et al.), Les conditions de logement des ménages. Exploitation de l’enquête Logement 1996-1997, Paris, INSEE, 1998. Données disponibles sur http://www.insee.fr/fr/ffc/chifcle_fiche.asp?ref_id=NATTEF05235&tab_id=95

[5]   Chaigneau Aurore, op. cit, 2005.

[6]   Humphrey Caroline, Hugh-Jones Stephen (dir.), Barter, Exchange and Value : an Anthropologigal Approach, Cambridge, Cambridge University Press, 1992 ; Weber Florence, Dufy Caroline, L’ethnographie économique, Paris, La découverte (Repères), 2007.

[7]   Entretiens auprès de 11 couples ou personnes seules dont les achats s’échelonnent entre 1993 et 2006 complétés par 7 entretiens avec des agents immobiliers, directeurs d’agence, une juriste et un rédacteur en chef d’une revue spécialisée dans l’immobilier.

[8]   Kosareva, N. G., [dir.], Osnovy ipotečnogo kreditovaniâ [Les fondements du crédit hypothécaire], Moscou, INFRA-М, p. 3.

[9]   Entreprises, corporations, administrations proposant des logements à leurs employés ou affiliés, souvent associés à d’autres services sociaux comme parfois des crèches, des magasins alimentaires, des loisirs.

[10]   La culture ouvriériste du régime ainsi que les besoins en main d’œuvre expliquent que les ouvriers qualifiés bénéficient en 1993 de meilleures conditions de logement que la classe ouvrière dans son ensemble (cf. Bater James H., « Housing Developments in Moscow in the 1990’s », Post-Soviet Geography, vol. 35, p. 309-319. Le constat est partagé par un récent travail sur la politique du logement en RDA (Rowell Jay, Le totalitarisme au concret. Les politiques du logement en RDA, Paris, Économica, 2006).

[11]   Dire que les valeurs sont subjectives ne signifie pas qu’elles reposent sur la fantaisie des échangeurs. Ces valeurs sont bien influencées par des critères objectifs : taille de l’appartement, qualité des installations sanitaires, distance des transports en commun… Ce qui est flou dans le système soviétique est la marge d’appréciation des avantages et des inconvénients de l’appartement et la manière dont ils se compensent. En fonction de sa position dans le cycle de vie, l’échangeur peut valoriser variablement la taille de l’appartement, sa distance du centre, etc.

[12]   Indépendant par opposition à un appartement communautaire partagé par plusieurs familles.

[13]   Lascoumes Pierre, Serverin Évelyne, « Le droit comme activité sociale : pour une approche wébérienne des activités juridiques », Droit et Société, n°9, 1988, p. 165-186.

[14]   Lewin Moshe, La paysannerie et le pouvoir soviétique : 1928 – 1930, Paris, Mouton, 1996 ; Lewin, Moshe, The making of the Soviet system : essays in the social history of interwar Russia, Londres, Methuen, 1985.

[15]   Dufy Caroline, Le troc dans le marché. Pour une sociologie des échanges dans la Russie postsoviétique, Paris, L’Harmattan, 2008, Humphrey Caroline et Hugh-Jones Stephen (dir.), Barter, Exchange and Value : an Anthropologigal Approach, op. cit.

[16]   Guzanova Alla, « The housing market in Russian Federation. Privatization and its implications for Market Development in Russia », Policy Research Working Paper [The World Bank], n° 1891, 1998.

[17]   Le droit à la privatisation ne peut s’exercer qu’une seule fois dans la vie d’un individu. Les listes d’attente n’ont pas été supprimées, les personnes inscrites durant la période soviétique gardent le droit, sous conditions, de maintenir leur demande de logement.

[18]   Rapporté par l’agence Rway, centre d’information sur le marché immobilier à Moscou dans l’article en ligne « V Moskve ostaetsja 25% neprivatizirovannyh kvartir [ A Moscou, il reste 25% d’appartements non privatisés] », 31 août 2006 : [http://www.rway.ru/nwsinf.asp?nws=1301&rbr=25] (site consulté le 19 septembre 2008).

[19]   Ces appartements neufs étaient achetés à la municipalité qui, dans les années 1990, avait encore le monopole de la construction immobilière. La municipalité les vendait aux enchères soit directement aux agences, soit à des investisseurs qui les achetaient « en gros » et les revendaient au détail aux agences immobilières. (cf. Morozov Mihail, « "Reskom" polučil kredit v 1,5 milliarda. Poltora milliarda rublej budut brošeny na skupku kvartir [Reskom a reçu un crédit de 1,5 milliard. 1,5 milliards de roubles seront affectés à l’acquisition d’appartements] », Kommersant’’, n°24 (257), 25/02/1993).

[20]   Cependant, sa logique en est profondément reconfigurée. Il est aujourd’hui assimilé à un double achat-vente et doit exprimer le prix du marché par une compensation monétaire en faveur du propriétaire cédant l’appartement le plus cher.

[21]   Agence Interfaks, « Rost cen na žil'e vytesnâet s moskovskogo rynka al'ternativnye sdelki » [La hausse des prix évincent les transactions "alternatives" du marché moscovite], 30 juin 2006.

[22]   Dobry Michel, « Les voies incertaines de la transitologie. Choix stratégiques, séquences historiques, bifurcations et processus de "path dependence" », Revue Française de Science Politique, vol 50, n°4-5, 2000, p. 585 – 614.

[23]   Eyal, Gil, Szelényi Ivan, Townsley Eleanor, Making Capitalism without Capitalists : The New Ruling Elites in Eastern Europe, Londres : Verso, 1998 ; King Peter, Szelényi Ivan, Max Weber’s Theory of Capitalism and Varieties of Post-Communist Capitalism, Angewandte Sozialforschung, 24 (3-4), 2006 ; LIPING Sun [2007], La transition sociale, un nouvel enjeu pour la sociologie du développement, Cahiers internationaux de sociologie, 122 (1), 2007, p. 53-72.

[24]   Sur nos 11 cas d’achats d’appartement entre 1992 et 2006, nous n’avons rencontré aucun cas de transaction effectué par l’intermédiaire d’un compte-séquestre. Nous ne disposons hélas pas de statistiques sur ces pratiques économiques. Notons simplement que le fait que le site internet d’une grande banque comme communique sur le principe du compte-séquestre indique peut-être que cette pratique ne va pas de soi pour les clients potentiels mais est en expansion.

[25]   Les contrats de vente mentionnent systématiquement la somme en roubles, son équivalent en dollars ainsi que le cours du change du jour de la signature du contrat. Pour l’achat d’appartements neufs, les promoteurs travaillent aujourd’hui davantage avec les roubles.

[26]   Le notariat est dit public lorsque le notaire est mandaté par l’Etat pour donner aux actes qu’il rédige la force des actes de l’autorité publique.

[27]   Hilaire Jean, La science des notaires : une longue histoire, Paris, Presses Universitaires de France, 2000, p.7

[28]   Selon les données de la Banque Centrale, en 2001-2002, seulement 10 000 prêts immobiliers ont été distribués dans toute la Russie pour la somme totale de 5 milliards de roubles (cf. Kosareva, Osnovy ipotečnovo kreditovanâ [Les fondements du crédit hypothécaire], op. cit., p. 42). Le chiffre atteint 263,6 milliards en 2006 et 556,5 milliards en 2007 (cf. l’étude mise en ligne sur le site de la Banque Centrale de la Fédération de Russie : O tekuŝix tendenciâh v sfere ipotečnogo žiliŝnogo kreditovaniâ i razvitii mehanizmov refinansirovaniâ ipotečnyxh žiliŝnyh kreditov [Les tendances actuelles dans la sphère du crédit hypothécaire pour l’achat de logements et le développement des mécanismes de refinancement des crédits hypothécaires pour l’achat de logements [http://www.cbr.ru/analytics/bank_system/2008_ipoteka.pdf], site consulté le 17 septembre 2008).

[29]   Au dernier trimestre 2007, seuls 18% du volume des prêts émis à des personnes physiques (à l’exclusion des prêts pour les entrepreneurs individuels) ont été affectés à l’achat d’un logement, le reste des prêts étant des prêts à la consommation (cf. étude de la Banque Centrale de la Fédération de Russie précitée). A l’inverse, en juillet 2008, en France, 74% de l’encours des crédits détenus par les ménages sont des crédits immobiliers (cf. Banque de France, « Les crédits au secteur privé. France. Juillet 2008 », Stat Info, 26 août 2008 : [http://www.banque-france.fr/fr/stat_conjoncture/telechar/stat_mone/credpriv_fr3.pdf], site consulté le 19 septembre 2007.

[30]   Ces indicateurs ont été calculés par l’auteur selon la formule suivante : [encours des crédits immobiliers au 1er janvier 2007 attribués par les établissements résidents aux ménages résidents / population totale du pays au 1er janvier 2007]. Sources : Banque Centrale de la Fédération de Russie, « Ob’’em zadolžennosti po kreditam, predostavlennym kreditnymi organizaciâmi fizičeskim licam i individual’nym predprinimatelâm [encours des crédits émis par les organismes de crédit au profit des personnes physiques et des entrepreneurs individuels] : [http://www.cbr.ru/regions/Ipoteka/main.asp] ; Rosstat, « Rossija v cifrah > Naselenie [la Russie en chiffres > La population]: [http://www.gks.ru/wps/portal/!ut/p/.cmd/cs/.ce/7_0_A/.s/7_0_2UK/_th/J_0_69/_s.7_0_A/7_0_3CK/_s.7_0_A/7_0_2UK]. Pour la conversion du rouble en euros, on a appliqué le cours au 1er janvier 2007, soit 1 € = 34,4862 roubles (cf. Banque Centrale de la Fédération de Russie, « Dinamika oficial’nogo kursa zadannoj valjuty [dynamique du cours officiel pour une devise donné] » : [http://www.cbr.ru/currency_base/dynamics.asp]. Tous les sites consultés le 19 septembre 2007.

[31]   Ce coefficient correspond au rapport entre le prix moyen d’un appartement standard et le revenu annuel moyen d’une famille de trois personnes. Il s’interprète comme le nombre d’années théoriques qui seraient nécessaires pour un ménage afin d’acheter un logement s’il épargnait 100% de ses revenus. Selon la méthodologie de l’Institut d’économie urbaine de Moscou, l’appartement standard est un appartement d’une surface de 18 m2 (norme sociale par personne) multipliée par 3, soit 54m2.

[32]   Kosareva Nadežda G., [dir.], Osnovy ipotečnogo kreditovaniâ [Les fondements du crédit hypothécaire], Moscou, INFRA-М, 2007, p. 42.

[33]   Topalov, Christian, Le logement en France, histoire d’une marchandise impossible, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1987.

[34]   Sapir Jacques, Le chaos russe, Paris, La Découverte, 1996, p. 61-69.

[35]   Dufy Caroline, Le troc dans le marché. Pour une sociologie des échanges dans la Russie postsoviétique, op. cit.

[36]   Les vekselâ sont les titres de dette émis par les banques, les administrations publiques ou les entreprises. Ils peuvent être de simples billets d’ordre ou transférables. Ils prennent alors la forme de lettre de change.

[37]   Sur la question du financement de l’achat, certains analystes mettent en avant la réticence psychologique des Russes à contracter un crédit immobilier en raison de l’habitude héritée de la période soviétique de bénéficier gratuitement d’un logement à vie. Ainsi R. Struyk avance “Certainly families who are private renters and homeowners with mortgages are less secure than they would have been as renters of a state unit with the standard lifetime “social” rental contract. This fact is presumably one element explaining the reluctance of home purchasers in the region to borrow for home purchase or trading up or, when they borrow, to take loans up to the limit of their ability to pay” in Struyk, Raymond J., Homeownership and housing finance policy in the former Soviet bloc. Costly populism, Washington, The Urban Institute, p. 6-7.

Pour citer cet article

Hélène Richard, « La propriété du logement en Russie aujourd’hui : des privatisations au marché immobilier. », journée d'étude La propriété en Russie, ENS de Lyon, le 5 juin 2009. [en ligne], Lyon, ENS de Lyon, mis en ligne le 25 février 2010. URL : http://institut-est-ouest.ens-lsh.fr/spip.php?article202